SUJET DE DISSERTATION.
Jean Cocteau déclare : « le roman est un mensonge qui dit toujours la vérité ».
Vous montrerez d’abord qu’un oman peut être produit rien que sur la base de faits inventés de toute pièce. Vous prouverez par la suite que l’œuvre romanesque est bien capable de représenter le réel. Enfin, vous examinerez comment l’inspiration du romancier peut se positionner à mi-chemin entre réalité et fiction.
La mythologie grecque et romaine représente un monstre affreux dénommé le Minotaure ; il possédait une tête de taureau et le corps d’un homme. Sans aller plus loin dans cette légende, c’est à croire que le roman bénéfice d’un traitement analogue dans la mesure où il puise l’inspiration aussi bien dans l’imaginaire que dans la réalité pour donner forme à une histoire. C’est un peu en vertu d’une telle considération imagée que Jean Cocteau affirme : « le roman est un mensonge qui dit toujours la vérité dents » ; en d’autres termes, le romancier sait aussi bien puiser la source de son inspiration dans le réel que dans la fiction. Ainsi, entre réalité et fiction, quelle est la source d’inspiration du romancier ? Nous nous évertuerons à circonscrire cette question autour de cette série successive d’interrogations : dans quelle mesure le romancier produit-il des œuvres de fiction ? Est-ce une raison de penser que toutes les histoires qu’il raconte sont fictives ? Comment le romancier parvient-il à associer réalité et fiction dans une même œuvre d’art ?
Il existe des romanciers qui restent confinés dans l’isoloir de leur bureau pour écrire une histoire qui n’est que le fruit de leur propre imagination. Le roman d’aventures d’une part et d’autre part de roman policier peuvent pousser à le croire.
Dans l’un, l’écrivain est animé d’une intention : divertir en tenant son lecteur en haleine par l’imagination d’actions multipliées à foison et exécutées par un personnage principal créé de toute pièce ; celui-ci n’a jamais existé, son nom n’ayant parfois figuré dans aucun acte d’état civil, ou peut-être n’existera jamais que dans l’imagination où il est né, quand bien même l’objectif serait atteint : captiver l’attention de celui qui lit, qui s’envole avec le personnage, qui court avec lui, qui s’affole à ses côtés, qui prie pour lui face aux nombreuses péripéties auxquelles la créature s’expose constamment. Nous en avons l’illustration avec les frissons que nous procure la lecture de Tour du monde en 80 jours (1872) de Jules Verne ; en compagnie de son valet Passepartout, Phileas Fogg fait avec nous lecteurs une sacrée course contre la montre qui tient tout le monde en haleine et nous éloigne quelque peu de notre bulle rien que par la magie d’un récit aussi bien captivant qu’imaginaire.
Dans l’autre, c’est-à-dire le roman policier, l’auteur veut aboutir au même projet, celui de faire de la lecture un loisir à part entière, voire plus loin encore, en articulant toute l’histoire autour d’un élément perturbateur particulièrement violent. En effet, le romancier représente dans la conscience du lecteur une histoire ; au fil des pages, ce dernier joue le même rôle que l’enquêteur car il ne cesse de se formuler des hypothèses qui se contredisent, restent en suspens, avant qu’il ne distingue le criminel au vu des vrais visages démasqués, au su des témoignages écoutés, au gré des actes des personnages délivrés. À titre illustratif, dans Le chien des Baskerville (1902), Sir Arthur Conan Doyle parvient admirablement et sans relâche à susciter cette intense activité de réflexion pourtant basée sur l’imagination et à laquelle devra s’adonner le lecteur pour découvrir la clé du mystère ; dans l’œuvre, Sherlock Holmes et son ami Dr Watson doivent identifier un meurtrier à Dartmoor, se gardant bien de gober cette légende urbaine qui jurerait de l’existence d’un chien qui cracherait le feu et qui serait à l’origine de cette série de meurtres de la famille des Baskerville. Ce n’est que vers la fin, de fil en aiguille, qu’on découvre les manigances et les impostures du violent Stapleton, seul vrai coupable.
Donc le roman d’aventures et le polar justifient des raisons pour lesquelles certains ont tendance à penser que le roman n’est que mensonge ou pure affabulation.
En un mot, nous comprenons la raison pour laquelle certains considèrent les romanciers comme des affabulateurs ; c’est parce que ces derniers produisent des œuvres d’imagination telles que les romans d’aventures ou le polar et donnent ainsi l’impression d’affabuler certes ; mais est-ce une bonne raison de penser que toutes les histoires que ces artistes racontent sont fictives ?
En effet, il y a d’un côté ce qu’on appelle le roman historique et d’un autre le roman autobiographique qui contredisent cette opinion.
Le premier restitue des épisodes d’un événement historique dont personne ne s’oppose à l’existence puisqu’il s’est déroulé dans un cadre spatio-temporel réel, sans oublier les personnages dont l’étoffe n’est plus à contester. Justement, ces derniers constituent des figures historiques dont il faut s’inspirer de l’acte s’il est exemplaire ou s’en méfier s’il est peu recommandable. Les romanciers négro-africains s’y sont d’ailleurs adonnés à cœur joie pour rappeler à leur peuple que sont autrement réelles ces figures historiques que le monde occidental a tendance à caricaturer en roitelets, en sanguinaires, en hors-la-loi… Des exemples abondent ; il suffit de se limiter à Sarraounia (1980), un roman de Abdoulaye Mamani qui relate une expédition coloniale française entre Niger et Tchad, arrêtée par la reine magicienne – Sarraounia – d’un petit royaume situé à l’ouest de l’actuelle République du Niger. L’oeuvre repose sur des faits authentiques. La Reine Sarraounia a existé et son histoire a été fidèlement rapportée par les griots et historiens nigériens dans la plus pure tradition africaine.
Quant au second, c’est-à-dire le roman autobiographique, il mérite aussi d’être inscrit dans cette dynamique de fidèle représentation du réel. Si le premier a un caractère plus collectif, le second, comme son nom l’indique, est une production romanesque où l’écrivain restitue l’histoire d’une tranche de sa propre vie. Sur les traces de ses pas, dans un cadre spatio-temporel réel, le romancier s’en souvient et en partage les soubresauts avec son lecteur qui découvre une vie bien intime de l’auteur qui se souvient, se justifie, se confie, se confesse,… au fil des pages comme à l’échelle du temps. Ici, l’écrivain qui écrit, le narrateur qui raconte et le personnage principal qui agit ne font plus qu’un ; chacun (on n’en doute point) a réellement existé ainsi que, de surcroît, le récit autour duquel s’articule l’intérêt du roman. Pour preuve, dans le préambule des Confessions (1782), Jean-Jacques Rousseau affirme : « je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple et dont l’exécution n’aura point d’imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de sa nature ; et cet homme, ce sera moi. Moi seul » ; c’est ici comme une profession de foi qui fait preuve de sincérité, de vérité, dans le récit qu’il déroule dans les pages qui suivront.
Ainsi, le roman historique et celui autobiographique donnent des raisons de prouver que le romancier est bien capable de reproduire le réel, c’est-à-dire non fictif, non inventé, non imaginaire.
Pour tout dire, entre autres types de roman, celui historique et même autobiographique justifient jusqu’à quel point le romancier sait aussi reproduire la réalité, contrairement à la propension des idées reçues ; d’ailleurs, pour réconcilier cette dialectique du pour et du contre, comment expliquer que le romancier est à mi-chemin entre réalité et fiction ?
Pour répondre à cette question, en revisitant le roman philosophique et le roman d’anticipation, nous pouvons observer le rapport que le romancier entretient avec la réalité et la fiction.
Premièrement, à la lecture de romans philosophiques, nous nous rendons compte que la part de fiction se situe dans l’histoire seulement. Le récit condense des événements et des personnages irréels évoluant dans un cadre spatio-temporel imaginé. Là s’arrête la fiction ; au delà, c’est une pensée narrativisée qui s’exécute, délivrant des réflexions sur des thèmes liés à la liberté, au travail, à la nature et la culture… qui sont bien réels. Nous en avons l’illustration dans L’Étranger (1942) ; Albert Camus a inventé Meursault, imagine sa relation avec son entourage en même temps que l’intrigue, juste pour mieux faire voir ce que cela coûte d’être extrêmement sincère dans une société où règne une parodie de justice, une société où il faut faire semblant sous peine d’en être expulsé, excommunié, étranger. Donc l’auteur aura réussi à se servir de la fiction juste comme d’un arrière-plan pour mieux mettre en avant sa conception philosophique du monde réel.
Deuxièmement, le roman d’anticipation donne davantage la preuve selon laquelle, vu sous l’angle du temps, l’écrivain moule son roman dans une pâte réelle et fictive à la fois. Jusqu’où son histoire est-elle imaginaire ? C’est lorsque l’auteur imagine une vie future dont l’homme n’a pas connaissance et des inventions techniques qui, de plus en plus, échappent à tout contrôle. C’est comme une sorte de mise en garde visionnaire d’une humanité qui se cherche. Quelle est la part de réalité maintenant ? Elle est à chercher dans la fulgurance offolante, vertigineuse et dangereuse de toutes ces découvertes technoscientifiques dont nous n’avons pas le contrôle. Si, au moment de la parution de ce roman, l’histoire était considérée comme fictive, il peut bien arriver que, dans un futur proche, ces événements deviennent réalité. Des critiques se précipiteront alors de l’appeler roman prémonitoire. Nous en avons la preuve dans De la terre à la lune (1877) de Jules Verne qui préfigure l’engin spatial appelé Apollo et dont se serviront les Américains durant les années soixante pour marcher sur la lune. Donc l’histoire est peut-être fausse au moment où elle est racontée et devenir réalité des années après, corroborant par la même occasion les propos de Jean Cocteau qui affirmait que « le roman est un mensonge qui dit toujours la vérité »
En définitive, nous comprenons pourquoi certains esprits mal éclairés pensent que le romancier est un beau menteur ; c’est parce qu’au regard du roman d’aventures ou encore du roman policier, l’histoire, aussi belle soit-elle, est inventée. Toutefois, c’est ignorer, sans connaître le roman historique ou encore autobiographique, que l’écrivain sait aussi représenter le réel, dans des dimensions « trois D », comme on dit avec autant de réalisme.
Justement n’est-ce pas une bonne raison de redéfinir réalité et fiction, l’une ne faisant que servir l’autre et vice-versa ? En tout cas, le roman philosophique et le roman d’anticipation démontrent que l’auteur est à la croisée des chemins. À notre humble avis, la liberté d’inspiration donne tous les droits au romancier, lui dont le génie arrive même à devancer le réel car des romans prémonitoires en ont donné la preuve et l’autorisation. Pour autant, une autre question nous taraude l’esprit : entre le roman et le théâtre, quel genre littéraire se montre plus apte à représenter le réel ?
Issa Laye Diaw
Donneur universel
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