« L’option d’orienter les bacheliers dans le privé était une réponse conjoncturelle »
Dans cet entretien, le ministre de l’enseignement supérieur revient sur le fondement de la décision d’orienter tous les bacheliers dans les universités publiques. Il soutient que le retards enregistrés dans le renforcement des infrastructures d’accueil, des bacheliers, des équipements et recrutement massif de personnels enseignants et chercheurs ont fait perdurer les opérations de placement de bacheliers dans le privé . Le ministre évoque aussi les mesures d’accompagnement du gouvernement.
L’Etat a pris la décision d’orienter l’ensemble des bacheliers de 2018-2019 dans les universités et établissements publics. Qu’est-ce qui a motivé cette décision et comment comptez-vous la matérialiser ?
L’une des missions du Gouvernement est de réunir toutes les conditions que requiert une prise en charge correcte des besoins de formation des citoyens en général et des bacheliers en particulier. C’est, disons, une mission régalienne. Pour cela, en plus de l’offre constituée par les structures publiques d’enseignement Supérieur, l’Etat agréé, dans des conditions précises, des établissements privés de formation qui accueillent tout postulant ayant librement choisi d’y aller et étant capable de libérer les contreparties financières exigées.
L’option prise d’orienter tous les bacheliers dans un contexte d’accroissement exponentiel de leur nombre sans augmentation conséquente des capacités publiques d’accueil a engendré des distorsions considérables entre l’offre publique et la demande nationale de formation supérieure. Dès lors, le recours à l’Enseignement Supérieur privé s’est avéré indispensable. Ainsi, depuis 2013, l’Etat mettait directement des bacheliers dans le privé et les prenait en charge. Mais, cette option ne devait pas être pérenne parce qu’étant une réponse conjoncturelle à un problème conjoncturel.
En effet, tout devait être rééquilibré grâce à la mise en œuvre d’un vaste programme d’actions publiques : renforcement des infrastructures d’accueil, des laboratoires, des équipements et recrutement massif de Personnels Enseignants et Chercheurs. Les retards enregistrés dans la réalisation de ce programme ont fait perdurer les opérations de placement de bacheliers dans le privé. Au fil des ans, les charges financières de l’Etat ont cru de façon vertigineuse, la dette a pris de l’ampleur avec des arriérés de paiement logiquement insoutenables.
Les étudiants se plaignaient de la régularité des cours, des retards de démarrage et des risques de devoir sortir des salles à chaque retard de paiement. Les chefs d’établissements privés exprimaient, à leur manière, leurs colères suite à des arriérés de paiement. Les parents manifestaient, à juste titre, leurs souhaits de ne plus voir leurs enfants orientés par l’Etat dans le privé sortir des salles de cours en milieu d’année universitaire pour non-paiement. Le Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI), non plus, n’était pas totalement satisfait du système. Nous avons mis énormément de moyens notamment financiers (entre 41 et 43 milliards) pour, in fine, arriver à cette situation déplorable et déplorée par tous.
Incontestablement, le modèle avait atteint ses limites. Il fallait, donc, opérer une rupture et le piloter correctement.
Les développements récents ont amplifié les signaux d’alerte. Malgré les promesses du MESRI, tenues lors de la rencontre du 06 aout 2019 avec les Etablissements Privés d’Enseignement Supérieur (EPES) et consistant à respecter les engagements pris dans le cadre d’un partenariat responsable, les EPES ont continué à maintenir les étudiants en dehors des salles de cours. Les étudiants n’arrêtaient pas de nous interpeller et vivaient, avec leurs parents, dans l’inquiétude et l’anxiété. Le stress avait atteint le paroxysme. Pourtant, tous nos efforts ne visaient qu’à créer les meilleures conditions de leur réussite en associant le secteur privé sénégalais dans la réalisation de cette noble ambition. Vous conviendrez avec moi qu’il fallait réagir et l’Etat a pris ses responsabilités en prenant la décision que vous avez évoquée.
Pourquoi les chiffres ne concordent pas ?
Nous sommes surs qu’il y a des dysfonctionnements, des problèmes qu’il faut clairement identifier. Les structures compétentes de l’Etat sont en train de vérifier avec les EPES les différents éléments de la facturation. Tout sera mis en œuvre pour garantir la transparence, la sincérité, pour apporter les ajustements ou correctifs nécessaires. Est-ce que tous les 31 000 étudiants orientés dans le privé suivent effectivement les cours ? Voilà, par exemple, une question parmi d’autres à élucider.
Les universités publiques sont-elles en mesure d’absorber tout le flux de bacheliers ?
Avant de prendre la décision d’orienter tous les bacheliers dans les universités et autres établissements publics d’Enseignement Supérieur, nous avons rencontré tous les Recteurs et Chefs d’Etablissements. Ensemble, nous avons examiné tous les problèmes et discuté des différents enjeux. Des positions et démarches communes ont été adoptées. Nous savons tous qu’en 2012, au moment de l’arrivée au pouvoir de Son Excellence, Macky Sall, Président de la République du Sénégal, les budgets des universités étaient structurellement déficitaires. Les Facultés et les UFR n’avaient pas les capacités d’exécuter, dans de bonnes conditions, leurs missions de formation et de recherche. Le nombre d’enseignants était très faible, les infrastructures, pour l’essentiel, étaient insuffisantes.
Aujourd’hui, avec tous les investissements consentis par le Gouvernement et les mesures nouvelles récemment prises, un effort est attendu de nos universités publiques pour accueillir tous les bacheliers qui en feront la demande. Le Gouvernement a initié un vaste programme de constructions d’amphithéâtres, de salles de cours, de TD et de TP, de Laboratoires, de résidences universitaires (à Dakar seulement, les capacités d’accueil du COUD ont été multipliées par 2 voire par 3, le nombre de lits est passé de 5000 à 12000) et le recrutement de PER. Parallèlement, Son Excellence le Président de la République, a augmenté les taux des bourses des étudiants, diminué les coûts des tickets de restaurant et équilibré les budgets des universités tout en consentant d’énormes efforts dans la prise en charge des revendications des PATS. Les Ecoles Doctorales ont été renforcées. Globalement le climat est devenu plus favorable dans nos espaces universitaires.
En termes d’infrastructures, il y a beaucoup de chantiers inachevés. Cela ne risque-t-il pas de poser problème en ce qui concerne l’accueil ?
Naturellement, il y a ce risque si rien n’est fait pour achever les chantiers. Beaucoup de chantiers sont inachevés et aux arrêts depuis plusieurs mois. Nous nous attaquons à ce problème.
C’est précisément la finalisation, l’achèvement et la réception des chantiers qui sont les premières mesures d’accompagnement des universités publiques de l’ effort qui leur est demandé.
En termes de mesures nouvelles d’accompagnement, on peut citer :
- L’ouverture de 200 postes de PER ;
- La construction et l’équipement de 200 nouveaux bureaux de PER ;
- La construction et l’équipement de 100 laboratoires scientifiques ;
- La construction et l’équipement de sept (07) Espaces Numériques Ouverts (ENO)
- L’achèvement de l’ensemble des travaux d’extension des universités ;
- La réception et l’équipement des résidences universitaires en cours de construction à l’UCAD, à l’UGB (plus de 2000 lits) et la finalisation et l’équipement du restaurant de l’Université Alioune Diop de Bambey ;
- La finalisation et l’équipement des amphithéâtres et des salles de cours en construction à l’Université Assane Seck de Ziguinchor et à l’UGB ;
- L’achèvement des travaux et la réception, en 2020, de l’Université Amadou Mahtar MBOW de Diamniadio qui, d’ailleurs, va accueillir, dès la rentrée prochaine, sa première cohorte d’étudiants ;
- L’augmentation en 2019/2020 du nombre de bacheliers à orienter à l’ISEP de Thiès ;
- L’ouverture et le recrutement, dès cette année, de bacheliers dans les ISEP de Diamniadio, Richard-Toll, Bignona et Matam.
Vous voyez bien que l’Etat ne va pas opérer la rupture annoncée en restant les bras croisés. C’est dans la conjonction des efforts des différents acteurs (Etat, Universités, ISEP, PER, PATS, etc) et dans un bel élan de solidarité que le paquet de mesures sera implémenté. Ainsi, chaque segment de notre communauté universitaire est invité à jouer pleinement son rôle.
En ce qui concerne l’UCAD, les effectifs estudiantins sont passés, avec le système d’orientation dans le privé, de 120000 à 80000. Pourquoi ne serait-il pas possible, suite à une amélioration conséquente des capacités d’accueil au sens large, de revoir les effectifs actuels à la hausse ?
Outre les infrastructures, les partenaires sociaux évoquent souvent le déficit d’enseignants au sein de nos universités aggravé par les départs à la retraite. Comment remédier au vide que laissent les enseignants appelés à faire valoir droit à la retraite?
On a mis en place dans les Universités un dispositif qui permet le remplacement de tout enseignant qui est admis à faire valoir ses droits à la retraite. En plus, les enseignants de rang A qui partent à la retraite ont la possibilité de signer des contrats avec les Universités pour une durée de 3 ans pour permettre aux Recteurs de se doter de leviers sur lesquels ils agissent efficacement. A cela s’ajoutent les créations régulières de postes et les excellents taux d’avancement. En effet, nos enseignants et chercheurs réussissent brillamment aux différentes épreuves du CAMES : inscriptions sur les différentes Listes d’Aptitudes et Concours d’agrégation pour certaines disciplines. Par exemple, en juillet 2019, nous avons eu de formidables résultats avec 100% d’inscrits dans les CTS des Sciences et Techniques de l’Ingénieur. Je profite de l’occasion pour réitérer mes félicitations aux différents promus et à toute la communauté universitaire
On n’a pas encore procédé à une évaluation de la réforme de 2013. Que peut-on retenir comme points forts, comme faiblesses ?
Concernant les points forts de la réforme de 2013, on peut citer
- La mise en place d’une nouvelle politique de gouvernance avec la loi sur les universités et les décrets qui, sous peu, seront pris. Ces décrets définissent le modèle de gouvernance avec les Conseils d’Administration, des Conseils pédagogiques et des procédures nouvelles de nominations des Recteurs et Secrétaires généraux des Universités ;
- La création, au sein des Facultés et des UFR, d’Agences comptables ;
- Le changement du statut des Enseignants avec la réforme des titres et grades ;
- L’amélioration substantielle des pensions de retraite des PER.
La mesure relative aux pensions de retraite des PER permettra aux Enseignants et chercheurs du Supérieur de terminer leurs carrières avec beaucoup plus de dignité.
Cette mesure de très haute portée historique, prise par Son Excellence Macky Sall Président de la République du Sénégal, prouve clairement son attachement aux idéaux de récompense et de reconnaissance de l’Excellence. Elle a été unanimement saluée par toute la communauté universitaire sénégalaise et par un grand nombre d’intellectuels africains. D’ailleurs, cela ne pouvait en être autrement parque c’est une première en Afrique. Et, c’est le savoir au sommet de sa pyramide d’acquisition, de production et de diffusion qui a été, ici, récompensé durablement pour ne pas dire à vie.
Le budget de l’Enseignement Supérieur est un des plus conséquents de l’Etat avec plus de 200 milliards de FCFA. C’est important. Nous allons vers l’acquisition d’un super Calculateur avec des capacités énormes. Dans des domaines très pointus de la Science et de la Technologie, nous allons être le premier en Afrique, loin devant l’Afrique du Sud.
Nous sommes dans une dynamique de mise en place d’un Centre d’ Excellence en Energie Atomique. Nous travaillons sur la Création de Micro Satellites. Même des pays comme le Canada s’appuient sur notre expérience.
Il ne faut pas aussi oublier que L’Université Virtuelle Sénégalaise a, de façon significative, contribué à l’accroissement des capacités publiques d’accueil.